Dans un précédent billet, je vous parlais de l’ambition du Label MINT délivré par l’Académie Suisse des sciences naturelles. Membre du jury, j’ai eu, avec mes collègues, le plaisir de sillonner la Suisse à la rencontre de ces établissements, de leurs infrastructures et de la passion de leurs enseignant·e·s. Stages, ateliers innovants, matériel de qualité et compétence du personnel offrent aux élèves de ces gymnases un accès privilégié aux nouvelles technologies (y compris biologiques).
Une fois la liste des gymnases labellisés arrêtée, il restait à leur remettre cette distinction. L’institut Paul Scherrer (PSI, Villigen) – plus grand institut suisse de recherche en sciences naturelles doté d’une belle cellule de médiation scientifique – était le lieu tout trouvé pour recevoir les lauréat·e·s et mener la première rencontre du réseau des écoles MINT 2019.
Point commun de tous les établissements primés ? Chacun peut se prévaloir de collaborations avec une, voire plusieurs Hautes Ecoles. Une nouvelle illustration du fait que la culture se construit avant tout au travers d’un esprit d’ouverture et d’échanges institutionnels.
Parce que l’appel émanait de la SCNAT, les humanités numériques étaient peu représentées dans les dossiers des gymnases distingués. Les enquêtes sur le terrain ont montré que les envies, pourtant, ne manquaient pas. Rappelons que, parmi les directrices et directeurs rencontrés, une bonne part dispose d’une formation littéraire.
Or, le Label MINT vient récompenser une culture. Et je suis convaincu qu’on ne peut légitimement parler de culture MINT qu’à partir du moment où une théorie mathématique ou une expérience scientifique est enrichie de son épaisseur historique et culturelle. Une conviction partagée par Philippe Moreillon, Président de la Commission pour l’encouragement de la relève, qui m’a donc invité à donner une présentation sur ces questions.
Dès que le temps me le permettra, je coucherai sur papier le détail de cette vision. Pour le moment, je liste ici quelques éléments au coeur de cette présentation et dont je sais qu’ils sont à même de favoriser une culture MINT étendue.
Le point essentiel d’achoppement tient aux différences d’appropriation des langages formels. Ces dernières clivent souvent (de manière parfois définitive) les élèves entre littéraires et scientifiques. Cette ligne de démarcation résulte pour une bonne part d’une induction liée à la présentation des contenus disciplinaires. Une approche moins réductrice éviterait un profilage anticipé et un réductionnisme identitaire, souvent extrêmement genré. La littérature (pour ne citer qu’elle) s’est construite sur une exploration d’écritures formelles, que ces dernières soient liées à la description grammaticale du langage naturel ou à l’exploration de contraintes artistiques. De même, la mathématique et les sciences dites “dures” font appel à l’imagination, nécessaire à la créativité – et donc à la découverte – scientifique. La valorisation des langages formels en sciences humaines et la valorisation de l’imagination en sciences naturelles favorisent l’établissement d’une culture interdisciplinaire.
Dans le cas de l’enseignement de l’informatique, cela revient notamment à présenter la programmation à la fois comme un acte de communication, un texte, un acte créatif et une pratique sociale, historiquement située. Chacune de ces dimensions gagne à être illustrée, voire pratiquée par les élèves. Ces intégrations sont moins difficiles qu’elles n’y paraissent. Montrer qu’une balise HTML a sa propre histoire, sensibiliser les élèves à l’esthétique du code et les inviter à prendre part à des exercices de poésie (à l’instar du Source Code Poetry) ou appliquer la programmation à des objets culturels (notamment littéraires) suffisent souvent à décloisonner élèves et enseignant·e·s.
La posture n’est pas purement théorique. Le monde, qu’il soit entrepreneurial, académique ou politique est demandeur de profils hybrides à même de penser, tirer parti et réguler une société toujours plus numérique. Ce dernier s’invite d’ailleurs dans des disciplines où on l’attendrait (à tort) le moins. Le projet Collart-Palmyre (Sciences de l’antiquité, Faculté des lettres, UNIL) ou encore le projet Wikimaps (Sciences sociales et politiques, UNIL) montrent que certaines questions et certaines réponses de recherche ne sauraient se passer du numérique.
Les gymnases – et en particulier leur Direction – sont sans doute les meilleurs opérateurs de ce décloisonnement. En créant, au sein des gymnases labellisés, des équipes interdisciplinaires réunissant sciences humaines et sciences naturelles autour d’objets et de thématiques, directeurs, directrices et enseignant·e·s créeront les conditions favorables à l’éclosion d’une pleine culture MINT.
Puisse ce label contribuer à cette philosophie. Les riches échanges qui ont suivi l’événement montrent que le mouvement est engagé.