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Suzanne, quelquefois
Publié en Blog, Littérature, Suisse le 19 janvier 2012 3 minute(s) de lecture
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Ces dernières années, mes maîtres sont étrangers. Pas que par le territoire. Par la langue. Hemingway et McCarthy m’ont déformé l’oeil, arrêté mon goût pour des styles plus secs. Les vivants de Kramer? Tombé des mains. Maurice à la poule de Matthias Zschokke? A reprendre un jour de pluie. Bref, à force, j’en suis venu à me dire que pour qu’un livre me plaise, il devait avoir traversé l’océan.

Et puis voilà l’apéritif de Noël de la section d’informatique. On y parle code source, mais en Faculté des Lettres, la littérature n’est jamais loin. Au fil d’une discussion qui va des trois chevaux d’Erri aux si jolis du texan, un conseil d’une éponyme: lis Suzanne, quelquefois.

Jean-Gabriel Zufferey. Difficile d’imaginer plus près. L’auteur est romand, voisin. Né en 44, il passe des sciences politiques au journalisme, présente le téléjournal, part en Asie pour le CICR, reprend la cravate et la voix lisse en 1974, abandonne l’écran pour le papier dès 81. Collaboration à l’Hebdo, réécriture pour l’Illustré, tâche modeste destinée à permettre une oeuvre.

Choix payant. En 1987, voici Suzanne, quelquefois. Sur la quatrième de couverture, plus pompeuse que le livre entier, Nyssen et Py parlent d’un texte syncopé, “presque un scénario”. Va pour la syncope. Pas pour le scénario. Zufferey a réussi à livrer ses 24 heures de la vie d’une femme, en masquant son introspection.

C’est terriblement bien écrit, très pur. Un oeil féministe serait certainement écorché par la femme enfant, la recherche de l’homme qui saura enfin la saturer. Tant pis. C’est beau, vrai. Goûtez-moi ça:

Extrait de Suzanne Quelquefois (p.61)

Pas de mot à 5 dollars, une attention aux objets qui rappelle Layaz, notamment Il est bon que personne ne nous voie ou ses Deux soeurs (Michel, que dois-tu à Zufferey? Il faudra en parler). Côté diégèse, une économie de moyens qui donne lieu à de beaux parallèles (quand vous l’aurez lu, voyez comme les rails de Paul reviennent dans les Märklin de Jeff). Bref, tout ce que j’aime.

Ou presque. Pas de doute, Zufferey aurait dû s’arrêter plus tôt. A trop vouloir forcer le ressort dramatique, l’auteur donne à son texte une chute dont il se serait bien passé. Suzanne et la déroute figurée de ses amants suffisaient à faire un drame. Le coup de théâtre final fait basculer dans le fait divers un récit jusque-là très poétique.

Allez, je ne vous en dis pas plus. Oubliez ma dernière remarque. Lisez-le. Si vous ne l’avez pas encore réservé à la bibliothèque, j’ajoute ceci: Suzanne quelquefois contient, à ma connaissance, la plus belle description de l’orgasme féminin.

Bref, merci Suzanne. Maintenant je vous laisse avec Zufferey. De mon côté, je vais voir si son syndrôme du hérisson est disponible. Quelque chose me dit que ce sera bien plus élégant que celui de Barbery.

Illustration : Rails de Madikarshi


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